Une pièce maîtresse

Publié le par la mite au logis

 

Je suis un objet unique, à la beauté atemporelle, vénéré de tous. Les plus grandes capitales, Paris, Rome, Londres, New York, me convoitent depuis mon apparition et aimeraient m’exposer au cœur de leurs musées. Mais c’est à Berlin que je réside, dans un prestigieux bâtiment entièrement rénové, au beau milieu d’une salle, seul dans une vitrine.

C’est un archéologue allemand qui m’a découvert à Tell el-Amarna lors d’une campagne de fouilles, à la veille de la première guerre mondiale. Il a creusé le sable pour m’exhumer et m’a sorti clandestinement de mon pays, en cachant ma véritable identité. Il m’a laissé pendant plusieurs années au secret, chez lui, avant de se décider à m’exhiber, car il avait compris que j’avais une valeur inestimable.

Plus tard j’ai été soigneusement emballé et mis à l’abri dans un château, alors que la guerre déchirait à nouveau le pays qui m’avait accueilli.

Les experts berlinois m’ont jugé authentique, cependant je suis toujours le sujet d’une querelle entre mon pays d’origine et mon pays d’accueil, une pomme de discorde, car plusieurs répliques ont été effectuées pour être exposées à ma place.

Mon authenticité a été prouvée par une tomographie, on m’a fait subir des analyses matérielles approfondies, on m’a passé aux rayons X et au scanner, mais il a été impossible de me dater par carbone 14, ayant été fait d’un noyau de pierre et de plâtre et peint avec des pigments minéraux. Et même si des retouches ont été opérées sur mon visage, même s’il me manque l’œil gauche, ma beauté n’est pas qu’une simple légende.

Un historien, qui ne mérite pas d’être nommé, ose maintenir que je suis un faux moderne, une « imposture » comme il dit. Il prétend que j’ai été exécuté à titre expérimental, lors de la découverte de l’atelier de mon sculpteur, pour faire des essais de polychromie avec d’anciens pigments, et que si le journal de fouilles de mon découvreur est encore tenu secret, c’est bien parce qu’il y a eu falsification. Que la honte soit sur lui ! Et s’il a l’audace de se présenter à nouveau devant moi, je le ferai rougir comme une tomate de mon regard borgne, mais glaçant et méprisant. Je le ferai ramper comme le vilain ver de terre qu’il est.

Mon pays natal demande depuis longtemps mon rapatriement, ainsi que d’autres pièces antiques illégalement sorties du territoire, « volées » disent même certains. J’avoue que j’aimerais bien retrouver la terre de mes ancêtres et être exposé au musée du Caire, tout près des statues de mon royal époux. Je sais que ma place est là-bas, que tout le monde m’attend et j’aimerais que l’on puisse enfin dire : « La belle est revenue ». Mais pour le directeur du musée de Berlin il est impensable de me laisser partir au risque de me briser lors du déplacement. Il suffirait d’un manutentionnaire maladroit qui laisserait tomber la caisse qui me contient. Il n’était pas question de courir ce risque.

Au moins dans ma vitrine je suis bien protégé et des milliers d’admirateurs continueront à venir du monde entier pour croiser mon regard d’éternité.

Mon seul regret est que ma momie n’ait jamais été retrouvée. J’aurais tellement voulu reposer en paix aux côtés de mon cher époux et de mes filles adorées.

 

 

 

 

 

 

 

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